Olivier MOESCHLER
Observatoire Science, Politique et Société (Université de Lausanne) et Section Politique, culture et médias (Office fédéral de la statistique)
1. Introduction: trois enquêtes pour une charte d’accueil
Les BM à Genève:
- 7 bibliothèques,
- 1 médiathèque, 1 établissement dédié au sport,
- 2 discothèques, bibliobus, 1 service à domicile,
- 1 service de prison
- 190 collaborateurs/trices
- 620’000 documents en libre accès
- 50’000 inscrits, 500’000 visites et 1.6 mios
- prêts annuels (7’600 prêts par jour)
- 270 animations culturelles par an
- 53% de la population genevoise a fréquenté dans les 12 derniers mois une « bibliothèque » (sondage MIS Trend juin-juillet 2004, 800 personnes de 15 à 74 ans dans le canton de Genève)
- Non-public récent: 47% de la population
- Pourquoi ces personnes ne fréquentent-elles pas les bibliothèques municipales ?
- Comment devient-on un non-usager de bibliothèques ?
- Que pourrait-on envisager pour faire (re-)venir ces personnes en bibliothèque ?
2. Contexte: les non-usagers de bibliothèques, un objet peu usuel
Statistiques nationales : PCF 1997, non-public récent des bibliothèques :
69% de la population française (Paris: 49%)
Bertrand et al. (2001) sur usagers BM Maresca (2006), Maresca et al. (2007)
Donc :
- On ne sait que peu de choses sur les non-usagers de BM
- Une population peu connue et centrale
- Lacune (Poissenot, 2002) : intérêt de « travaux Sociologie de la culture: remise en question notion de « non-public » (Ancel et Pessin, 2004)
3. Méthode et approche : une démarche à l’écoute des acteurs
Approche ouverte et exploratoire
Méthode qualitative, compréhensive
- questionnaire-grille d’entretien
- une vingtaine de questions rel. ouvertes
- 5 à 6 thèmes et profil sociodémographique
- « portraits » (Lahire, 2004) et synthèses par quartiers
Problématique de la démocratisation culturelle
Thématiques et axes d’analyse:
- accueil
- représentations: raisons, offre, fonction, image
- non-usagers absolus et ex-usagers
- le « deficit model » (degré de notoriété)
- loisirs en général
- usage potentiel ou futur des BM
4. Dispositif d’enquête : une ville et douze zones
12 établissements ou quartiers :
• Bibliothèque de la Cité (2 groupes)
• Bibliothèque des Eaux-Vives
• Bibliothèque de la Jonction
• Bibliothèque des Pâquis
• Bibliothèque de la Servette
• Bibliothèque Saint-Jean
• Bibliothèque et discothèque des Minoteries
• Discothèque de Vieusseux
• Bibliothèque des Sports
• Quartier de Champel
• Bibliobus (Plan-les-Ouates et Grand-Saconnex)
une vingtaine d’entretiens par zone
usagers du quartier
5. Résultats. Tendances générales
Le non-usager de bibliothèques n’existe pas!
Certes tendances statistiques, globales…
…mais aussi forte hétérogénéité des profils
Dans tous les milieux, toutes les professions, toutes les nationalités et tous les âges, on a
de « bonnes » raisons de ne pas fréquenter de bibliothèque
> Le non-public des BM est pluriel!
5. Résultats. Raisons de la non-fréquentation
• L’accueil n’est pas un problème!
• Manque de temps (agenda / horaires…)
• Autres activités (sport…)
• Terminé sa formation (besoin; argent)
• Manque intérêt lecture; envie posséder livre
• Question de la langue (« culture »)
• Image de la bibliothèque (silence, etc.)
• Eloignement (jeunes / plus âgés)
> Un ensemble de facteurs, situation de vie
5. Résultats. Degré de notoriété, accès
• La moitié des personnes ne savait pas qu’il existait une bibliothèque dans ce quartier
• Dépend du quartier, de l’établissement
• BM souvent difficiles à trouver (absence de signalisation bâtiment, entrée et/ou voie d’accès)
• Aspect extérieur
5. Résultats. Perception de l’offre des BM
• Livres: multiplicité titres et diversité domaines semblent connues
• Services plus récents ou autres souvent mal voire pas connus (disques, DVD, Internet)
• Forte pratique des différents loisirs et supports à domicile
5. Résultats. Fonction d’une bibliothèque
• Considérée comme fondamentale, centrale
« ouvrage de référence », « fontaine de connaissances »
• Gratuité, accès généralisé
« cultiver les gens »
• Une fonction élargie…
« offrir des loisirs », « divertissement »
• …voire sociale
un « espace de rencontres »
• Une certaine distance
un « musée du livre »…
5. Résultats. Avantages et désavantages des bibliothèques
• Un certain nombre d’avantages…
- le calme, possibilité de travailler
- trouver des livres non disponibles dans les commerces
- pouvoir feuilleter, âner
• …mais aussi de désavantages
- délais, attente à l’accueil, déplacement, classification
- absence de nouveautés ou best-sellers
- choix restreint ET lacune dans domaine pointu
- ambiance studieuse, silence (« c’est mort », « vieux »)
- manque d’animation ET foule
5. Résultats. Premier mot qui vient à l’esprit
• Le premier mot est… « livre »!
et: « lire », « lecture », « bouquin »…
• Et…:
« silence », « renfermement », « vieillot », « pénible »
« obligation », « délai », « chercher / rapporter »…
• …mais aussi:
« connaissance », « savoir », « recherche », « culture »,
histoire »…
5. Résultats. Image des bibliothécaires
• En général une femme:…
« cultivées », « serviables », « disponibles », « jolies filles »
« petites souris méticuleuses et méthodiques »…
ET/MAIS
…« rats de bibliothèque »; « sévères », « austères »,
« strictes », « lunettes », « chignon très serré », « vieilles
filles à tendance religieuse », « psychotiques du
rangement », « frustrées par la vraie vie »…
…voire simplement: « chut! »
>Une image un peu vieillotte, à dynamiser…
5. Résultats. Rapport à la lecture et au livre
• La lecture:
- (« lire, ça me gave! »)
- ne pas fréquenter de bibliothèque ne pas lire!
• Les livres:
- importance de posséder les livres, même non lus): « on s’y
attache », « trésors »)
- liberté, disponibilité (« le savoir à portée de main »)
- durabilité (« culture indestructible »)
- prestige (« décoration », « ça fait joli », « impressionner
ses invités »)
> Le livre comme objet
5. Résultats. Propositions d’offre pour les BM
• Proposer des nouveautés, présentation de livres nouveaux
• Un fonds plus complet
• Offre plus large : presse, nouveautés, supports électroniques, livres
d’images
• Possibilité de livraison à domicile
• Possibilité de commander à distance (« que la bibliothèque vienne à moi »)
• Possibilité d’effectuer des recherches à la maison, sur l’Internet (surtout les jeunes)
• Horaires plus flexibles, notamment ouverture à midi
• Plus de souplesse concernant les délais de retour
• Une classification plus facile à comprendre
• Accueil : plus de convivialité, donner envie d’y entrer et d’y rester, être moins austère, proposer un lieu plus vivant, une décoration plus joyeuse
• Plus de disponibilité pour aider dans les recherches
• Un coin café, un coin café-lecture, voire un « bistrot-bibliothèque » où l’on pourrait « boire un verre et échanger ses impressions sur les livres »
• Une machine à café, un distributeur
• Un coin canapé
• Un coin fumeur (plusieurs personnes ont évoqué le fait qu’ils aiment fumer en lisant)
• Un cybercafé
• Un tea-room
• Des salles où l’on peut parler à haute voix
• Une « ambiance feutrée »
• Des expositions plus variées, des petites expositions en relation avec le livre
• Des débats, des lectures, avec des personnalités ; inviter des auteurs
• Des journées à thème
• Ou alors des nocturnes
• De la musique, des concerts
• Des films (voire : des films tirés de romans)
• Possibilité d’acheter sur place les livres qui ont plu
• Une garderie, un « coin où l’on peut parquer les enfants et choisir tranquillement »
• Proposer des jeux vidéo, notamment pour attirer les jeunes
• Une affiliation gratuite
• D’une manière générale, prendre plus en compte les besoins des usagers
• Mieux cibler le public
• Plus de livres en langues étrangères
• Certains parlent de la visibilité, à améliorer ; faire de la publicité, notamment dans les écoles.
6. Conclusion: les bibliothèques, un problème d’image(s) ?
Etudier le non-public des bibliothèques :
> mieux comprendre son double, le public
> mieux cerner les logiques de la non-fréquentation
Un problème d’images :
• au sens premier
notoriété, localisation, réseau
• représentations
chaîne de significations, « ennemis symboliques »
Transformer les « ennemis symboliques » des bibliothèques en « alliés » :
un lieu, déplacement, autres usagers --> centralité, sociabilité
une perte de temps --> du temps pour soi, du temps gagné
le silence --> le calme
bibliothécaires « aigries, renfermées » --> bibliothécaires ouvertes
impossibilité d’acheter un livre --> absence d’obligation d’achat
posséder un livre --> s’approprier son contenu
livre --> lecture
ne plus vouloir être en formation, à l’école --> pouvoir encore apprendre
la bibliothèque comme musée --> la bibliothèque comme laboratoire
Culture --> culture-loisirs, culture-appartenance.
Merci de votre attention
Olivier.Moeschler@unil.ch
Références
- Ancel, P. et Pessin A. (2004). Les non-publics. Les arts en réceptions. Paris, L’Harmattan.
- Bazin P. (2000). « Bibliothèque publique et savoir partagé ». In BBF, t. 45, n. 5, pp. 48-52.
- Bertrand A.-M., Burgos M., Poissenot Cl. et P rivat J.-M. (2001). Les bibliothèques municipales et leurs publics. Pratiques ordinaires de la culture. Paris, Bpi / Centre Pompidou.
- Bourdieu P. (1979). La Distinction. Critique sociale du jugement. Paris, Ed. de Minuit.
- Callon M. (1986). « Eléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs de la baie de Saint-Brieux ». In L’Année sociologique, n. 36, pp. 170-208.
- Cellule étude et projets (2006). Bibliothèques et discothèques municipales de la Ville de Genève. Genève, Département des affaires culturelles, Ville de Genève.
- Chaintreau A.-M. et Lemaître R. (1993). Drôles de bibliothèques. Le thème de la bibliothèqu e dans la littérature et le cinéma. Paris, Ed. du cercle de la librairie.
- Donnat O. (1994). Les Français face à la culture. De l'exclusion à l'éclectisme. Paris, La Découverte.
- Donnat O. (1998). Les pratiques culturelles des Français. Enquête 1997. Paris, La Documentation française.
- Grignon Cl. et Passeron J. -Cl. (1989). Le savant et le populaire. Misérabilisme e t populisme en sociologie et en littérature. Paris, Gallimard / Seuil.
- Lahire B. (2004). La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi. Paris, La Découverte.
- Maresca B. (2006). « La fréquentation des bibliothèques publiques a doublé depuis 1989 ». In CREDOC Consommation et modes de vie, n. 193, mai.
- Maresca B., Evans C., Gaudet F. (200 7). Les bibliothèques municipales en France ap rès le tournant Internet. Attractivité, fréquentation et devenir, Paris, Ed. de la BPI.
- MIS Trend (2004). Enquête sur les pratiques culturelles dans le canton de Genève. Lausanne.
- Moeschler O. (2006). Vous avez dit ‘bibliothèque’ ? Enquête sur les non-usagers des bibliothèques municipales à Genève, Rapport final, Genève, HEG Haute école de gestion.
- Moeschler O. (2007). « ‘Fontaines de connaissance’ ou ‘musées du livre’ ?... Les bibliothèques municipales selon leurs non-usagers », in RESSI Revue électronique suisse de science de l’information, n. 6, octobre.
- Poissenot Cl. (2001). « Penser le public des bibliothèques sans la lecture ? ». In BFF, t. 46, n. 5, pp. 4-12.
- Poissenot Cl. (2002). « Le réel et ses analyses ». In BBF, t. 47, n. 1, pp. 19-20.
- Poissenot Cl. (2003). « Non-publics des bibliothèques et missions des BDP : réflexions à partir du cas de la Meuse ». Journées d’étude de l’ADBDP Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (www.adbdp.asso.fr/association/je2003/poissenot.htm)
- Revue électronique suisse de science de l'information RESSI
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